- La situation des Roms migrants en France
- Le constat de difficultés d’accès aux soins aggravant l’état de santé
- La naissance d’un programme de médiation sanitaire (2008-2009)
La situation des Roms migrants en France
En France, les premiers Roms roumains se sont installés à Nanterre au début des années 1990, où 900 personnes se sont retrouvées sur un terrain en friche, sans eau, sans électricité et dans des conditions de vie déplorables. Le début de cette migration coïncide avec la chute des régimes communistes à l’Est de l’Europe. Ces arrivées correspondent pour l’essentiel à une migration économique, liée aux très grandes disparités de niveau de vie dans les pays d’Europe de l’Est qui sont accentuées dans le cas des populations roms par un phénomène de ségrégation. Dans le cas des Roms d’ex-Yougoslavie, l’exil fait suite plus particulièrement aux persécutions subies depuis la guerre. La complexité et la diversité de ce phénomène migratoire est donc à souligner. Le projet migratoire de chacune de ces familles est dans tous les cas à considérer singulièrement, qu’il s’agisse de capitaliser quelques ressources sur une période plus ou moins courte en vue d’améliorer le quotidien au pays ou d’entamer un parcours d’installation en France tout en conservant des attaches plus ou moins fortes dans sa région de départ.
La migration de ces familles ne traduit en rien un mode de vie itinérant. S’ils se déplacent en France c’est généralement sous la pression des expulsions. S’ils retournent périodiquement dans leur pays, c’est comme d’autres migrants pour faire vivre des liens d’appartenance (visites à la famille, fêtes…), pour se replier temporairement face au harcèlement policier en France, après une expulsion de leur lieu de vie ou encore en exécution d’une mesure d’éloignement du territoire.
L’effectif total des Roms migrants présents aujourd’hui en France ne peut être évalué et cela n’aurait d’ailleurs aucun intérêt : pour ceux qui ont pu accéder à des logements ou des hébergements de droit commun, il n’y a aucune pertinence a vouloir les distinguer d’autres populations migrantes destinées à être intégrées dans le paysage social français. Pour ceux qui demeurent dans une situation de forte visibilité du fait de leurs conditions de vie précaires en squats et bidonvilles (ne se reconnaissant pas nécessairement comme Roms), les données disponibles ne permettent pas de les distinguer d’autres migrants ou ressortissants français habitant en bidonvilles ou squats. Dans ce sens, nous pouvons rappeler et nous appuyer sur les chiffres de la Dihal (Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement), dont le dernier recensement estime leur nombre à près de 17 000 personnes.
L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie – dont sont originaires la très grande majorité des Roms migrants présents en France – à l’Union européenne prévue par le traité d’adhésion de Luxembourg du 25 avril 2005 est devenue effective au 1er janvier 2007. Leurs ressortissants ont donc les mêmes droits que les autres communautaires, dont la liberté de circulation qui constitue une des libertés fondamentales des citoyens de l’Union européenne. Concrètement, ce principe de la libre circulation implique qu’une seule pièce d’identité est désormais nécessaire pour entrer en France. Mais au-delà de trois mois de présence en France, leur droit au séjour est subordonné à la condition de disposer d’un emploi (salarié ou non salarié), d’être étudiant ou de disposer d’une assurance maladie et de ressources suffisantes. Or l’accès à l’emploi des Roumains et des Bulgares est reste très encadré durant la période transitoire prévue par le traité d’adhésion de ces deux pays (jusqu’en janvier 2014 en France). Les règles relatives au droit des travailleurs étrangers s’appliquaient alors à ces communautaires, ce qui obligeait ces derniers à solliciter une autorisation de travail et les employeurs à payer une taxe, procédures dont la complexité, les délais et les exigences bloquaient très généralement l’accès effectif au marché du travail.
Bien que dans le cas des communautaires les administrations soient censées procéder à une évaluation du droit au séjour en fonction de la situation individuelle, en pratique les ressortissants roumains ou bulgares en situation précaire sont considérés d’office par les administrations comme irréguliers. Leur accès aux droits sociaux est par conséquent très limité, d’autant que les collectivités locales leur dénient toute appartenance au territoire du fait de leur mobilité (liée aux expulsions fréquentes) et du statut illégal d’occupation des terrains et squats où ils se réfugient.
Le constat de difficultés d’accès aux soins aggravant l’état de santé
Il est aujourd’hui toujours difficile d’établir un diagnostic précis de l’état de santé de la population rom migrante en France, en raison de la quasi absence de données chiffrées. Cette carence tient à la prohibition en France des recueils statistiques sur des bases ethniques. Elle reflète également la faible présence des institutions sanitaires auprès de ce public.
En amont de la préfiguration du programme, le constat partagé par les acteurs de terrain de l’état de santé dégradé de cette population a été objectivé par des données liées à l’intervention de Médecins du Monde auprès de tel ou tel groupe sur des territoires donnés : dès 1999 avec la publication du rapport « Projet Romeurope, L’accès aux soins et à la santé de populations Roms/ Tsiganes migrantes en situation de grande exclusion dans trois pays d’Europe. Espagne, France, Grèce » F.Lamara. ; puis par la suite avec les données recueillies dans les rapports annuels d’observatoire de l’accès aux droits et aux soins de la mission France.
Voir aussi, « La santé des Roms en France, une urgence sanitaire ? », publié en 2010 par MdM.
Dans les pays d’émigration des Roms, bien que la législation permette théoriquement un accès aux soins pour les plus démunis, son effectivité est loin d’être une réalité. En Roumanie, la pratique de paiements non officiels et en liquide reste une contrainte pour pouvoir être soigné. Les sommes demandées peuvent ne pas être importantes, mais restent hors de portée des familles roms, généralement pauvres. En outre, facteur fondamental dans la protection de la santé, ces familles n’ont eu aucun accès à la moindre éducation sanitaire, du fait toujours du rejet dont elles sont victimes. Il s’ensuit que les familles arrivent en France avec un retard de soins et des pathologies qui se sont aggravées et dans certains cas, la maladie et le besoin de soins sont encore la principale cause de migration. Il n’y a pas de pathologies spécifiques aux Roms. Toutes les pathologies rencontrées sont la conséquence des conditions de vie et d’accès aux soins ici et dans leurs pays d’origine.
Or, les difficultés d’accès aux soins ont pu être observées comme importantes pour ces personnes pour les raisons suivantes :
1) Les difficultés d’accès à l’assurance maladie
Les populations en situation de grande précarité et d’exclusion n’ont très souvent aucune connaissance de leurs droits et du fonctionnement de l’Aide médicale d’État (AME). Les agents des CPAM eux-mêmes peuvent méconnaitre ces droits et leur fonctionnement: ils ne sont donc pas en mesure de faire les démarches nécessaires et en refusent parfois l’accès à des personnes qui pourraient en bénéficier. Par ailleurs, l’AME ne peut être ouverte que si la personne est présente depuis plus de 3 mois en France, ce qui est difficile à prouver lorsqu’on n’a pas de logement fixe, et lorsqu’elle a une domiciliation administrative. Les démarches administratives sont nombreuses, complexes et difficilement accessibles pour des personnes ne parlant pas la langue nationale et ne maitrisant pas les rouages du système administratif français. L’ouverture des droits est de plus souvent retardée, du fait de la difficile coordination des régimes de sécurité sociale au sein de l’UE.
2) Le manque d’information des personnes sur le système de santé
Les codes et usages au sein des structures de santé demeurent incompris des personnes en situation de précarité. De même, le système de santé étant très différent de celui du pays d’origine, les personnes n’envisagent pas qu’elles puissent avoir accès à certains soins et traitements remboursés avec tiers payant, d’où une tendance à l’automédication. Dans le cas des populations roms migrants, des repères sont d’autant plus difficiles à construire que les expulsions sont fréquentes.
4) Les conditions de vie
Les conditions de vie sur les terrains aggravent l’état de santé, voire sont un facteur déclenchant de pathologies : hygiène corporelle difficile à assurer en l’absence d’accès à l’eau et à des sanitaires individuels et propres ; exposition aux intempéries ; terrains boueux et marécageux ; alimentation à base de produits récupérés dans les rejets des marchés et supermarchés ; stress permanent dans la crainte d’une opération policière; présence de tas d’ordures non ramassées favorisant la prolifération de nuisibles (rongeurs et parasites), problèmes de sécurité (fenêtres sans garde-fous, systèmes d’éclairage et de chauffage dangereux…).
5) Les ruptures de soins
L’instabilité et les expulsions multiples des lieux de vie ne facilitent pas l’accès à un réseau sanitaire de proximité. En d’autres termes chaque changement de lieu de vie provoque la rupture du suivi médical et les liens difficilement établis avec les partenaires associatifs et institutionnels pour l’accès aux soins sont rompus. Enfin, les reconduites à la frontière de personnes malades, parfois gravement, sont un fait courant. Parmi les Roms reconduits en dépit des pathologies lourdes dont ils étaient porteurs, certains sont également contagieux.
6) Le manque d’information des professionnels de santé sur les conditions de vie des personnes
Les sources d’incompréhension entre les professionnels de santé et le public rom sont multiples. Au premier chef, les absences aux rendez-vous, le manque de ponctualité, la difficulté à respecter les horaires de permanence sont très mal acceptés. Par ailleurs, le fait habituel de se rendre en groupe aux consultations dérange, voire inquiète.
L’intolérance face à des comportements ou situations objectives, est parfois sous-tendue par un ensemble de préjugés exprimés parfois ouvertement : les jugements habituels répandus dans la population se répercutent en sorte que, là comme ailleurs, les Roms sont associés à la mendicité avec enfant, la petite délinquance, les réseaux mafieux etc. L’absence d’information sur les déterminants culturels des comportements en matière de santé et plus largement peut avoir des conséquences directes sur la prise en charge médicale. Mais les incompréhensions partent aussi et surtout d’une méconnaissance des conditions de vie. Par exemple, le manque d’hygiène est souvent considéré sans indulgence. De même, l’irrégularité du suivi médical ou l’absence de carnet de vaccination bousculent les pratiques. Enfin, on connaît par ailleurs les refus de soins auxquels se trouvent régulièrement confrontés les bénéficiaires de l’AME : 37 % de refus de soins en médecine ambulatoire en 2006, selon un rapport de Médecins du monde.
7) Le manque d’éducation à la santé
La majorité des Roms présents en France ont eu un cursus scolaire très réduit, voire absent, et la connaissance des mesures de prévention est très réduite. La demande en direction des professionnels de santé est le plus souvent limitée à la délivrance de médicaments. Certaines habitudes de vie constituent un facteur aggravant : alimentation à horaires irréguliers ; consommation excessive d’aliments gras et de boissons sucrées ; hygiène dentaire insuffisante ; coucher tardif des enfants…
La naissance d’un programme de médiation sanitaire en direction des Roms migrants habitant en bidonvilles
Depuis sa création en 2000, le Collectif National Droits de l’Homme Romeurope a alerté les pouvoirs publics sur la nécessité d’une meilleure prise en compte des difficultés d’accès aux soins des populations roms étrangères vivant en France. Au regard des expériences et constats recueillis sur le terrain, le développement d’expériences de médiation sanitaire a toujours fait partie des préconisations formulées auprès des autorités sanitaires à l’échelle locale et nationale par les associations membres du collectif.
A l’issue d’échanges approfondis et dans l’optique de vérifier la pertinence de ces préconisations pour l’accès aux droits et à la santé, la Direction générale de la santé a soutenu en 2008-2009 une action d’ingénierie de projet, dont l’objet était de préfigurer la mise en place de projets pilotes de médiation.
A l’issue de ce projet en 2009, le collectif Romeurope a publié un rapport de préfiguration duquel a découlé le Programme National de Médiation Sanitaire a découlé avec dès 2011 une phase expérimentale sur deux ans. Consultez ce rapport ici.